Vers une politique 2.0

A un mois du deuxième tour des élections présidentielles françaises, les attentions se tournent vers les candidats, aussi bien à travers leur programme que la communication qu’ils utilisent.
En plus d’être déterminante pour le paysage politique français, cette élection se démarque des précédentes en raison du rôle décisif qu’y jouent les réseaux sociaux. En effet, après avoir assisté à l’émergence d’un président américain aux tweets acerbes, les candidats semblent avoir compris l’importance de la communication digitale pour convaincre les électeurs.
Nous avons choisi d’étudier la stratégie de communication digitale adoptée par chacun des onze candidats durant tout le mois de Mars. Cette enquête nous a ainsi permis d’observer l’impact du débat télévisé ou encore d’analyser les différents comportements des électeurs sur internet.

Des hommes politiques et des réseaux sociaux

Cela fait plusieurs mois que Jean-Luc Mélenchon est acclamé comme étant le premier homme politique à maîtriser sa communication sociale. En effet, le leader de La France Insoumise est le premier YouTuber politique de France puisqu’il comptabilise, au début du mois d’Avril 2017, plus de 250 000 abonnés et plus de 19 millions de vues sur sa chaîne certifiée. Le candidat doit en parti son succès à Antoine Léaument, lui-même YouTuber, qui s’est chargé de développer la communication digitale du Parti de gauche en 2013. C’est lui qui a su convaincre Jean-Luc Mélenchon de l’utilité du réseau social afin de se “désintermédiatiser”, c’est-à-dire de se passer des médias traditionnels pour communiquer avec les électeurs.

Marine Le Pen est également une grande habituée de la méthode. Le Front National est d’ailleurs le parti politique le plus performant sur internet car il ne se contente pas des élections pour être actif. Il produit continuellement du contenu qui finit par attirer l’attention d’une manière ou d’une autre. Cette méthode permet notamment à la candidate de devancer Jean-Luc Mélenchon sur Facebook et Twitter où elle comptabilise respectivement, au début du mois d’Avril 2017, plus de 1,27 millions de mentions j’aime et 1,36 millions d’abonnés.
Les candidats du Front National et de La France Insoumise ont, par ailleurs, déjà été candidats par le passé.

Communiquer sur internet leur a permis de lutter contre les média traditionnels, qui étaient alors moins disposés à les accueillir, tout en s’adressant directement aux électeurs et en développant une communauté forte. Le grand débat du 20 Mars 2017 et le débat du 04 Mars 2017 leur ont néanmoins été largement favorable. En effet, la Page Facebook du Politologue a choisi de mesurer, le 22 Mars 2017 entre 13h et 17h et le 04 Mars 2017 entre 20h30 et 01h30, le nombre de mentions j’aime acquis par chacune des pages Facebook des candidats. Jean-Luc Mélenchon sortait vainqueur du premier débat avec un gain de plus de 3 800 nouvelles mentions. Emmanuel Macron et Marine Le Pen suivaient ensuite avec plus de 890 mentions pour le premier et plus de 320 mentions pour la seconde. Philippe Poutou se démarquait du second débat puisqu’il comptabilisait plus de 3 500 mentions j’aime, suivi par Jean-Luc Mélenchon, plus de 2 000, et Jean Lassalle, plus de 1 400.

Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen semblent donc se démarquer des autres candidats car ils traitent les réseaux sociaux comme un médium à part entière où ils partagent et créent leurs actualités. A l’inverse, il est intéressant de constater qu’Emmanuel Macron, François Fillon et Benoît Hamon semblent préférer une communication plus classique de relai des informations.

Du comportement des internautes

Sur internet, de nombreuses études sont réalisées pour tenter de comprendre le comportement des Français à l’approche de l’élection présidentielle. Les participants sont généralement des jeunes, à l’aise avec les réseaux sociaux. C’est un point qu’il est important de souligner : les personnes qui interagissent avec les réseaux sociaux des candidats ne représentent pas l’intégralité des électeurs Français. En effet, 30 millions de Français possèdent officiellement un compte Facebook tandis que 45 millions d’entre eux sont inscrits sur les listes électorales.

Reputation Squad a étudié, entre le 1er Août 2016 et le 20 Mars 2017, le comportement des Français utilisateurs de Facebook à l’origine des 9 millions de “likes” sur les statuts des comptes officiels des cinq candidats qui regroupent le plus d’intentions de votes d’après les sondages. Pour cette étude, ils ont créé un concept de fidélité caractérisant les utilisateurs de Facebook qui interagissent avec les publications d’un seul candidat. Il en ressort que les communautés centristes sont les plus indécises car 2% à 5% des internautes qui choisissent d’aimer les publications du candidat d’En Marche ont également aimé celles de François Fillon au cours des derniers mois. 1% à 3% d’entre elles ont également interagit avec les publications de Benoît Hamon. En parallèle, on constate que les électorats des extrêmes ne se rejoignent pas.

Les électeurs ne réagissent néanmoins pas uniquement aux publications de leur candidat. Ils choisissent de prendre la parole pour défendre leurs idées grâce à de nouvelles plateformes telles que Discord, une application de discussions groupées sur des sujets communs, Google Drive qui permet le partage de documents, Imgur, une plateforme de partage de photos, … Les militants d’extrême gauche et d’extrême droite sont particulièrement friands de ces méthodes de regroupement qui leur permet notamment d’organiser une campagne digitale en parallèle de la campagne officielle. Le Discord Insoumis semble d’ailleurs plutôt efficace puisque de nombreux projets ont pu voir le jour grâce à ses utilisateurs. La communication parallèle passe également par des comptes parodiques Twitter, Facebook ou YouTube. Les militants du parti Les Républicains ont ainsi développé Ridicule TV, un compte regroupant des vidéos parodiques de plusieurs candidats.

Les équipes de campagne sont largement informées de l’existence et de l’importance de ces campagnes parallèles. S’ils laissent souvent les projets se créer par eux-même, il peut arriver qu’ils accompagnent leur développement – comme l’ont fait les équipes de François Fillon en contribuant à la création des comptes Twitter et YouTube de Ridicule TV – ou qu’ils mettent en avant le travail des groupes – comme peuvent le faire les équipes de Jean-Luc Mélenchon avec certains documents du Discord Insoumis.

discord

La communication politique digitale ne se limite donc pas aux simples réseaux sociaux des candidats. Les militants ont également appris à se servir des différents moyens à leur disposition pour organiser des formes d’actions nouvelles.

L’appel aux influenceurs

Nous considérons un influenceur comme étant une personne publique, ou un média, présente sur les réseaux sociaux et sachant animer sa communauté.
De nos jours, les entreprises ont compris l’intérêt de collaborer avec ce nouveau métier car plus de 40% des internautes consultent les réseaux sociaux, les blogs ou les forums avant tout acte d’achat. De la même manière, les hommes politiques ont pris conscience que les influenceurs peuvent les aider à travailler leur image.

Benoît Hamon semble être le plus enclin à intervenir auprès des médias digitaux. Nous avons trouvé une dizaine de collaborations entre Benoît Hamon et divers médias influents. Il a ainsi répondu à plusieurs interviews du site Konbini ; ces vidéos comptabilisent plus de 1,27 million et plus de 1,53 million de vues sur Facebook. HugoDécrypte, YouTuber de 127 956 abonnés, a également publié une interview avec le candidat du Parti Socialiste ; celle-ci a été vue plus de 80 000 fois. Le candidat semble avoir compris que les médias influents peuvent être bénéfiques pour sa campagne. En plus d’obtenir une image sympathique à la suite de ces interventions – car il se prête au jeu et paraît accessible – il touche un nombre non négligeable d’internautes.

Nicolas Dupont-Aignan est également un candidat plutôt adepte des collaborations avec les influenceurs pour communiquer sur sa campagne. S’il est moins prolifique dans ses interviews digitales que sur les médias traditionnels, il répond à plusieurs médias influents. Le leader du parti Debout La France reproche aux grands médias de ne pas faire passer le message des “petits” candidats et communiquer avec les influenceurs lui permet donc de s’adresser directement aux électeurs.

Philippe Poutou semble aussi bien maîtriser Twitter que les Live. Le candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste a effectivement accepté de répondre aux questions des internautes depuis une vidéo Live diffusée sur la Page Facebook du média Brut. Cette vidéo, découpée en deux vidéos d’une demi-heure chacune, comptabilise plus de 45 000 et 35 000 vues sur le réseau social.

Les candidats à l’élection présidentielle de 2017 ont donc compris que ces médias sont incontournables. En effet, 38% des Français s’informent par internet – dont 17% par les réseaux sociaux – d’après une enquête Médiamétrie de 2016. Les internautes sont plus jeunes puisque 77% des 18-24 ans s’informent sur internet tandis que les plus âgés continuent d’écouter la télévision et la radio.

La campagne sociale vient enrichir une campagne plus globale. Gautier Guignard, responsable de la campagne digitale de François Fillon, est effectivement convaincu que la manifestation du 5 Mars 2017, en soutien au candidat Les Républicains, n’aurait pu être possible sans les réseaux sociaux. Elle est donc une étape primordiale pour communiquer directement avec les électeurs et travailler une image forte.

Sources :

Le Monde – Jean Luc Mélenchon star du net – 24/03/2017
Rue89 – Les “likes” Facebook annoncent-ils les résultats de la présidentielle ? – 31/03/2017
L’express – Comment internet influence l’élection – 22/03/2017
L’express – Les réseaux sociaux bouleversent la campagne présidentielle – 13/01/2017
Slate – Dans les salons de discussions des soutiens de Mélenchon – 03/02/2017
Rue89 – L’équipe digitale de Fillon est derrière Ridicule TV, un compte anti-Macron – 06/03/2017

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